A ce moment intervient un évènement qui m'a pas mal marqué.
J'ai passé 11 ans d'une vie tranquille et heureuse à Vincennes. J'ai eu la chance de vivre dans une famille complète, notre père, un temps prisonnier des allemands, s'étant très rapidement évadé. Une jeune sœur est venue s'ajouter à l'ensemble assez harmonieux avec notre mère, toujours à la maison.
De plus, du fait de la débrouillardise, de l'esprit d'entreprise et de l'intelligence de notre père, nous sommes passés de la condition d'enfants d'ouvrier, de soldat, d'ouvrier encore, d'artisan, puis d'associé dans une petite PME. Donc, une certaine aisance matérielle s'est installée.
Je n'ai eu aucun problème scolaire passant du premier 1/10 en classe primaire au premier 1/5 en cours complémentaire, sans beaucoup me fatiguer ni me soucier.
J'ai eu des copains : Claude Laroche, Jean-Claude Jubin qui m'ont quitté, car ayant 2 ans de plus que moi, l'adolescence les a touché avant. J'ai retrouvé ensuite Jean Petit, un ami d'école.
Enfin, j'ai eu pas mal de liberté pour jouer dehors, mes parents étant assez libéraux. J'ai fait à peu près ce que je voulais, sans toutefois en abuser, je crois.
J'ai joué au football au CO Vincennes pendant 2 années en 2ème puis 1ère minime du club. Coïncidence, je jouais à la même place que Jacques.
La maison de Gournay a agrémenté pendant quelques temps nos week-ends.
Tout a "baigné".
Puis, patatras, mes parents achètent une boutique dans le XIXe arrondissement de Paris. Tout un univers qui s'écroule. Nous emménageons au 1e novembre 1951 au 1er étage d'un bel immeuble de l'avenue Jean Jaurès. La boutique est au rez-de-chaussée avec un atelier et un garage derrière. Enfin, un autre atelier donnant sur la cour complète cet ensemble.
Nous avons pour la première fois le téléphone à la maison. Mais, c'est sombre et un peu triste.
Je passe du jour : Vincennes, à la nuit : Paris.
Pendant les 7 mois suivants, j'ai vécu à cheval sur Vincennes et Paris, finissant mon année au cours complémentaire et déjeunant chez Simone et Milo, mes oncle et tante, achevant la saison de football au COV.
A Paris, j'entre dans la nuit et la désadaptation pour au moins 6 mois. Il va de soi qu'elle ne durera heureusement pas trop longtemps.
Tout réfléchi, je crois que c'est finalement le changement brutal que je n'aime pas et que je n'aimerai jamais.
141, Avenue Jean Jaurès, l'atelier |
la cour |
La saison de foot était terminée. Des copains de 3ème m'avaient dit : "tu devrais venir à notre club d'athlétisme, tu verras, c'est sympa". Miracle, c'est un club du XIXe arrondissement. Je vais à l'entrainement 1 ou 2 fois à la Porte de Pantin et me voilà embarqué aux compétitions. Je porterai pour au moins 6 ans le maillot jaune et noir du CO Parisien.
A la première sortie, au stade Marcel Bec à Meudon, je suis sacré champion d'Ile de rFance FSGT au saut en longueur minimes avec 4,98 m. C'est incroyable !. Il faut quand même convenir que la FSGT est un cran en dessous de la FFA, un champion de cette ligue entrerait tout juste en finale de la fédération nationale.
Je reçois pour ce résultat un écusson bleu et rouge. En rentrant à la maison, je le montre à mon père. Je vois son nez s'allonger, FSGT est inscrit sur le trophée. J'aurais dû me douter que, vu l'anticommunisme de mon père, il n'apprécierait pas que son fils soit un champion chez les communistes.
C'est quand même une sacrée douche écossaise : le chaud de la victoire et le froid de l'accueil paternel. Ma mère s'en moque.
La saison suivante arrive. C'est mon premier 80 mètres. Je réalise une très bonne course et suis en tête à 20 mètres de l'arrivée. Et, un énorme claquage me foudroie littéralement. Résultat : au moins 3 mois d'arrêt. Ma raideur presque maladive, un échauffement trop décontracté et un entraînement dilettante constituent probablement les causes de cette sérieuse blessure.
Je le paierai toute ma petite carrière car je ne guérirai jamais complètement de cet accident, traînant toujours de petites douleurs à l'aine. J'ai dû perdre ce jour-là les 2 ou 3 dixièmes qui m'ont manqué pour bien réussir.
Ajoutons à cela de l'appréhension, qui m'a suivi même pendant les épreuves physiques du professorat d'EPS.
Nous étions mal entraînés et probablement contents car c'était moins fatigant et moins astreignant.
À pâques 1953, avec Pierrot Chevalier, le fils du patron de ma tante Pauline, sœur de mon père, nous faisons un premier banc d'essai de camping cycliste à Coulommiers, auprès d'amis de celui-ci. Un petit flirt avec Christiane, la fille de la maison fait palpiter mon coeur d'adolescent.
Enfin, nous décidons de partir en Auvergne, près d'Aurillac, mettant nos vélos au train. Nous camperons 3 semaines ou 1 mois à Ladinhac, près de Monsalvy dans le Cantal. Je me trompe dans l'orthographe d'Aurillac, écrivant Auriac et mon vélo se retrouve à 50 kilomètres de la destination souhaitée. C'est un petit détail, mais je me trouve privé de bicyclette pendant 8 jours.
Enfin, ayant récupéré mon véhicule, nous faisons de bonnes excursion, parcourant cette région de semi-montagnes, dure pour nos jambes. Mais avec nos forces de 16 ans, ça passait plutôt bien, surtout pour moi, Pierrot, un peu "bouboule" peinait dans les côtes de 7 ou 8 kilomètres. Nous avons été accueillis par des familles très rurales dans cette région très sauvage et reculée. Une pêche miraculeuse, à l'aide de balances, aux écrevisses nous a fait connaître ces petits torrents à l'eau très claire, pleine de truites.
Cependant le revers de la médaille est que nous nous sommes très mal entendus ; lui très bricoleur, moi pas du tout, lui un peu caractériel, jaloux de je ne sais quoi, moi un peu insouciant, on peut dire que ça a été une expérience à ne pas renouveler ensemble. Nous ne nous sommes jamais revus.
Mes parents étaient sympas de me laisser aller seul à 15-16 ans en vacances dans ces conditions. Je les en remercie à posteriori.
Après 2 années à Arago où je suis tombé d'assez haut passant en troisième du premier 1/5 de la classe à la fin du 2ème tiers en classe de première, je me présente donc au 1er bac moderne au Lycée de Saint Maur.
Et le plus normalement du monde, par un manque de travail évident, ou bien par un niveau trop faible, ceci majoré par un niveau de concurrence plus aiguë, j'échoue, pas lamentablement mais de manière très nette à l'examen.
Ceci est dû à ma relative faiblesse en Français car je lis peu, et à ma très moyenne réussite en mathématiques à cause d'un manque d'abstraction et surtout de travail, tout ceci expliquant ce mauvais résultat.
Le soir de l'écrit, je participe à un monôme monstre, en me enhardissant de plus en plus, dans ce défoulement un rien imbécile : charge de flics, arrachage de plaques d'autobus, sitting, etc.
Après des vacances à Houlgate, avec mes oncle et tante, les Mistelet, et ma soeur Françoise, où j'étais censé réviser, j'échoue à la session de septembre et me vois donc contraint de redoubler ma première.
Ce n'était que logique et je ne l'avais pas volé. C'était mon premier échec sérieux. Il y en aura malheureusement d'autres.
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Nous sommes un dimanche après-midi de l'hiver 1954-1955, le printemps et l'été étant réservés aux compétitions et aux sorties en plein air. Je sors donc avec 3 copains : Jacky, un petit italien, vif, nerveux, handicapé par un reste de poliomyélite enfantine, James, un grand brun sympathique, réservé, ne pensant et ne parlant que de filles, Jean, un titi à l'esprit alerte racontant sans cesse des blagues, et moi-même, un peu inhibé, me croyant, à tort, plus intellectuel que les 3 autres.
Nous sommes un dimanche après-midi de l'hiver 1954-1955, le printemps et l'été étant réservés aux compétitions et aux sorties en plein air. Je sors donc avec 3 copains : Jacky, un petit italien, vif, nerveux, handicapé par un reste de poliomyélite enfantine, James, un grand brun sympathique, réservé, ne pensant et ne parlant que de filles, Jean, un titi à l'esprit alerte racontant sans cesse des blagues, et moi-même, un peu inhibé, me croyant, à tort, plus intellectuel que les 3 autres.
Nous allons sur les Boulevards assister à notre séance hebdomadaire de cinéma. Après cette "toile", nous nous baladons vers Strasboug-Saint Denis. Tout-à-coup, probablement entraînés par Jacky, nous obliquons vers la rue Blondel. Quelques professionnelles font "station" devant les portes. On plaisante, on fantasme, et, en 2 temps 3 mouvements, nous voilà embarqués tous les quatre, accompagnés de deux femmes, assez jolies ma foi, dans une chambre d'hôtel. Rapidement, celles-ci nous savonnent vigoureusement le pénis, puis s'alignent sur le dos en position adéquate. Tous les quatre, deux par deux, nous passons au dépucelage en règle. L'affaire n'a pas duré plus d'une demi-heure et nous n'étions plus puceaux. Cette histoire n'est surement pas exceptionnelle.
C'est quand même un souvenir un peu sordide mais marrant et les commentaires qui ont suivi l'affaire ont fait long feu.
Voici une année qui ne se termine pas trop mal. Je réussis enfin le premier BAC moderne, espagnol première langue en juin. Je passe quelques vacances avec mes oncle et tante, les Mistelet, et ma soeur Françoise à Houlgate, comme l'année précédente, puis à Sérigny que j'aime bien et où je revois avec plaisir Rénée Balkan.
Enfin, fin septembre, je prends part aux championnat de France FSGT en junior. Nous étions 2 coureurs à dominer le sprint jeunes de cette fédération : Jean-Jacques Reboulet et moi-même. Jean-Jacques avait un an de moins que moi et n'était donc pas encore junior. Il était meilleur que moi. Le rituel de nos rencontres était tracé d'avance : j'ai 1 ou 2 mètres d'avance à 20 mètres de l'arrivée et sur la ligne, c'est lui qui inverse le résultat.
Il est absent du championnat, je suis donc le favori !.
Meudon, stade Marcel Bec, Championnat de France FSGT. Je participe aux 100 m et 200 m junior.
Le matin, au moment des séries du 100 m, une petite anecdote flatte mon orgueil : je parle avec un concurrent venu de province, il dit "Oh, en série, je n'ai aucune chance, car je tombe avec Guinegagne". Il ne me connaissait pas physiquement.
Je gagne la série avec le meilleur temps de toutes les courses, je suis donc l’homme à battre pour la finale.
Elle a lieu l’après-midi, il fait un temps de chien, pluie intermittente, vent. Je suis sûr de mon fait, je vais gagner.
J’ai pris l’habitude de faire un faux-départ volontaire, ce qui a le don de déstabiliser mes adversaires, c’est le but, et d’énerver le starter. A cette époque, un faux départ est autorisé par participant. J’effectue donc cette action, selon mon rituel bien établi.
Deuxième départ, je pose mon genou gauche à terre et les mains en éventail derrière la ligne, je suis au couloir 2 ou 3, quelques adversaires à ma gauche, et plus encore à droite. Prêt ! je lève mon genou du sol, je suis maintenant prêt à bondir, mon point fort, le départ !
Ca y est, c’est parti, je suis dans la meute dès les premiers mètres, et ma mise en action entre maintenant en jeu. En 15 mètres, je suis en tête, je vais gagner, je ne serai pas réjoint.
Je suis donc sacré champion de France FSGT en 11"3 ou 11”4.
Le départ, mon point fort ! |
Je suis un peu déçu.
Cependant, champion de de France du 100 m et deuxième du 200 m est un excellent résultat. Ce sera la première fois et la dernière fois où je serai titré à ce niveau.
Puis vient le cérémonial : podium, médailles et poignées de main. Mon jour de gloire.
L'année 1956, fertile en évènements, va pouvoir commencer.
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25. Été 1956, déplacement à Bologne, concours d’entrée au CREPS.
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Je passe à la rentrée d'octobre en section Sciences Expérimentales, les meilleurs allant Mathématiques Elémentaires. Nous avions une batterie de professeurs assez inégale : un professeur de philosophie très moyen, un assez bon prof de physique et un excellent professeur de sciences naturelles : monsieur Orieux. On peut dire que mes notes de physiologie, plutôt bonnes pendant le professorat d’EPS sont dues, au moins en partie, à cet homme qui nous faisait travailler dur mais intelligemment. Merci Monsieur Orieux !.
L’hiver 1955 est glacial : de très fortes gelées pendant au moins 3 semaines suivies d’un dégel brutal qui provoquera de fortes inondations.
Un jeudi matin de février, nous avons cours. Le chauffage du collège tombe en panne. Nous nous concertons et, embarqués par quelques meneurs, toute la classe quitte l’établissement à 10 heures. Monsieur Temkine, le professeur d’histoire se retrouve devant une salle vide d’élèves “Où sont passés les Sciences-Ex ?” Et bien, ils sont partis se réchauffer ! Certains, dont moi-même, sommes allés au proche bois de Vincennes pour vérifier que le lac Daumesnil est bien gelé.
Drôle de réaction pour des potaches un peu frondeurs. Nous subissons ensuite le courroux de la direction et une colle collective clôt l’incident. Mais nous nous sommes bien amusés.
Tout cela pour montrer que cet hiver 1955 est exceptionnel. Le dimanche suivant, je vais faire du patin à glace pour la première et la dernière fois de ma vie sur un lac gelé naturellement sur environs 15 cm de haut, accompagné de Nicole Parvol, un petit flirt du moment.
Malheureusement, ce jour-là, elle se casse la jambe sur cette glace dure semée d’embûches.
Malheureusement, ce jour-là, elle se casse la jambe sur cette glace dure semée d’embûches.
Au dégel, le zouave du pont de l’Alma offrit un spectacle gratuit aux Parisiens : la Seine transformée en un torrent tumultueux lui est montée jusqu’à la taille.
Quel hiver rigoureux.
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A cette époque, James et moi avions l’habitude d’aller à la patinoire Victor Hugo, vers les Champs Élysées, le samedi ou le dimanche après-midi. Je ne me défendais pas trop mal dans ce sport. La patinoire était comme le bal musette de la décennie passée. A la fin du patinage libre, agrémenté de minutes de vitesse, était organisées des courses, soit en ligne, soit en poursuite. Ce jour-là, c’est une course en ligne et je m’engage vers 5 heures et demie. On s’aligne en plusieurs séries. Dans la mienne, nous sommes une dizaine de participants. A ma connaissance, je ne suis absolument pas le plus fort.
A cette époque, James et moi avions l’habitude d’aller à la patinoire Victor Hugo, vers les Champs Élysées, le samedi ou le dimanche après-midi. Je ne me défendais pas trop mal dans ce sport. La patinoire était comme le bal musette de la décennie passée. A la fin du patinage libre, agrémenté de minutes de vitesse, était organisées des courses, soit en ligne, soit en poursuite. Ce jour-là, c’est une course en ligne et je m’engage vers 5 heures et demie. On s’aligne en plusieurs séries. Dans la mienne, nous sommes une dizaine de participants. A ma connaissance, je ne suis absolument pas le plus fort.
On prend le départ pour 4 ou 5 tours. Je prends la tête, essayant d’être le plus coulé possible. Je ne m’occupe pas des autres qui doivent suivre facilement. A l’entrée du dernier virage, j’entends une clameur descendre des tribunes, je n’y prête pas attention et termine détaché en vainqueur. Je me retourne et m’aperçois que mes adversaires s’étaient bousculés et avaient été victimes d’une chute collective. C’était drôle et inattendu.
Nous avons bien ri de cette mésaventure.
25. Été 1956, déplacement à Bologne, concours d’entrée au CREPS.
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Je passe le BAC Sciences-Ex, de justesse, mais avec succès. Ouf ! Je suis maintenant candidat au concours d’entrée au CREPS préparatoire du professorat d’éducation physique, qui a lieu aux alentours du 15 juillet.
Cette année-là, je suis junior 2ème année et je me débrouille bien en sprint. Aussi, suis-je sélectionné à une rencontre internationale qui a lieu à Bologne, en Italie, les samedi et dimanche précédant le concours d’entrée au professorat d’état.
Nous partons pour 12 heures de train le vendredi soir. Après un défilé protocolaire et le cérémonial qui va avec, nous courrons sur la très belle piste rose de Bologne. C’est la première fois que je porte le maillot national bleu roi. Je garderai l’écusson national en souvenir de ce jour. 3 participants sont sélectionnés par discipline et par nation. Je termine 3ème du 100 mètres en battant mon record personnel en 11,1 s. Au lancer du poids, je remplace au pied levé le 3ème lanceur français absent : je suis assez complet. Après la visite et la ballade de Bologne, où, comme dans tous les déplacements sportifs de groupe, on ne voit strictement rien, à part les belles rues à Arcades, il faut rentrer. Le train est en retard de 2 heures et, au lieu d’arriver à midi à la Gare de Lyon, c’est le lundi à 14 heures que je me retrouve sur le quai.
Je suis très inquiet car la dissertation du concours d’entrée au CREPS commence lundi à 14:00 à l’INS de Joinville. Il pleut très fort et je suis dégoulinant en sautant dans un taxi. A l’entrée de la salle d’examen, mes explications finissent par convaincre le jury, et après 5 minutes d’hésitation anxiogènes, je finis par être accepté pour composer. Je rentre chez moi le soir, harassé. Je vais tenter de récupérer car le mardi est réservé aux épreuves physiques. Mon père tire un ‘nez’ pas possible, car, bien entendu, il était contre ce voyage et il avait raison.
Le lendemain, les 1000 inscrits à ce concours participent aux épreuves physiques. Malgré la fatigue extrême, je réussis plutôt bien. Je suis très content à 6 heures du soir lorsque je termine la dernière épreuve, le 1500 mètres. Je suis épuisé. Au cours de ces épreuves, je rencontre ce « con » de Godard, un ancien élève de 3ème de Vincennes, qui n’a pas beaucoup changé.
Cela me permet de constater que nous n’étions pas beaucoup à arriver au BAC : sur les 20 élèves de 3ème du cours complémentaires de Vincennes, seuls 4 seront bacheliers, soit 20%. D’après Jean Petit, mon copain, qui était véritablement la gazette du cours complémentaire, il y avait Ehrhardt qui est médecin, Jean Petit et moi-même enseignants, sans oublier Godard qui présentait le CREPS. En remontant plus loin, au primaire, sur une classe, nous étions 2 ou 3 futurs bacheliers : pas forcément les plus doués, mais ceux dont les conditions familiales étaient favorables ainsi que les familles qui n’avaient pas besoin des ressources économiques apportées par le salaire d’un enfant de 13 à 14 ans. Cela existait encore dans les années 1950.
Je serai donc reçu à la 250ème place environs à ce concours et admis au CREPS de Strasbourg.
Au mois de juin-juillet 1956, je fais la connaissance de Gilles Anduze. C’est un superfrimeur, baratineur et superficiel. Mais moi, un peu naïf, pas trop quand même, je me laisse convaincre par ses paroles. Il projette un voyage en Espagne, à Salou, qu’il décrit comme un paysage mirifique. Durant les vacances, le mois de juillet était réservé à un centre aéré près à Aubervilliers. Ne sachant que faire le mois d’août, je me laisse convaincre de l’accompagner, lui et ses parents en Catalogne « La vie est très bon marché, il fait très beau, l’eau est chaude, on s’amuse, viens tu verras, cela va être sensass' ».
En 1956, pour aller en Espagne, il fallait un passeport et un visa d’entrée : on allait au consulat d’Espagne, faisait une heure de queue pour obtenir le document ad hoc. La guerre civile était finie depuis 17 ans, mais Franco filtrait encore les entrées de son pays. J’obtiens cette paperasserie et me voici parti pour Salou.
Salou, en 2012 |
Peu importe, j’ai passé des vacances très agréables à me débrouiller sans lui dans une station balnéaire pour les riches Espagnols, peuplée en été de moitié par des étrangers, français, allemands ou britanniques. Nous profitons du taux de change très avantageux, la vie étant moitié moins chère qu’en France.
La Boléra (bowling dancing), la mer, les copains, les petites anglaises, tout cela a constitué une nouveauté pour moi. J’ai appris à connaître et à aimer la corrida. C’est là que j’ai connu Helen, une jolie londonienne du groupe de touristes de Jerry O’Donnovan qui est devenu un copain. Enfin, j’ai pu constater que j’ai eu de bons professeurs d’Espagnol car j’ai tout de suite conversé et compris cette langue, proche du français, il est vrai.
Ce voyage, un peu improvisé, m’a appris à me débrouiller seul dans des conditions inattendues mais, ni difficiles ni hostiles, simplement un peu surprenantes.
A la suite de ces vacances ibériques, je reviens en méforme physique hésitant entre le CREPS et la Tchécoslovaquie, un nouveau déplacement international sportif. La rentrée au CREPS se faisant pendant le voyage, je rentrerai à l'IREPS à la Crételle où je suis accepté. Il faut faire passer la pilule à mon père, qui, malgré les apparences, est très permissif. Il me donne son accord du bout des lèvres.
Me voici embarqué dans l’avion avec une petite appréhension, car je n’ai pas l’habitude d’utiliser ce moyen de transport. C’est la première fois que je monte à bord d’un DC4. Nous voyageons avec Lucienne Boyer, une chanteuse à succès de l’époque qui nous invite à aller la voir lors de son récital à Prague. Nous n’oublierons pas de lui rendre visite et serons reçus à 4 ou 5 dans sa loge.
Délégation française, Claude Guinegagne, 2e en partant de la droite |
Nous restons 8 jours à Prague et dans les environs où nous participons à 3 compétitions : Kladno, Houtckka et… je ne sais plus. Nous avons appris les commandements de départ en Tchèque ; par exemple ‘prêt’ se dit ‘pozor’. Avec le recul, je pense que ces courses étaient de peu d’importance, d’autant qu’il a fait un temps exécrable, il a même un peu neigé.
Emile Zatopek, qui nous escortait |
De Prague, j’ai peu de souvenirs et je peux dire que lorsque j’y suis revenu 40 années après avec Pierrot, je ne me rappelais que le place Wenceslas, des tramways bruyants, d’une ville dans l’ensemble assez triste, alors que c’est une cité très gaie, riche en monuments historiques avec de beaux quartiers pleins de poésie. De plus, la crise hongroise couvait. Elle éclatera un mois plus tard et Budapest sera à feu et à sang. En Tchécoslovaquie, rien de tel, mais une sourde haine envers les Russes, bien qu’il n’y ait aucune présence de l’armée rouge. Cette rancœur déçut 2 ou 3 copains qui idéalisaient le communisme et ne s’attendaient pas à une telle hostilité.
A part l’amitié de 2 ou 3 athlètes tchèques, de quelques jeunes filles slaves aimant bien, par curiosité, les garçons venant de l’ouest et les détestables omelettes à la confiture, rien n’est resté gravé dans ma mémoire à part le souvenir d’un voyage peu courant pour l’époque.
Notre voyage s’est prolongé car notre avion n’a pas pu atterrir à Orly à cause du brouillard ; nous avons passé une nuit à Bruxelles dans un très bon hôtel. Le téléphone intérieur a beaucoup fonctionné cette nuit-là.
Tout à une fin, et le lendemain matin, nous nous posons sans problème à Orly. Me voici replongé dans la réalité et les choses sérieuses, pas faciles qui vont s’abattre sur moi.
Pour préparer le professorat d’éducation physique d'état, il y avait 2 filières :
- l’internat qui accueillait les élèves dans les CREPS, après avoir réussi un concours. C’était la meilleure façon de préparer les jeunes aux cadences infernales des études d’EPS.
- l’externat dans les IREPS qui deviendront UEREPS puis STAPS. Là, c’était plus difficile de travailler, l'ambiance libérale des facultés ne poussaient pas l'assiduité.
Mais, nous avions le choix. Il ne fallait pas avoir trop peur des sélections. Il faut dire que le mot SELECTION n’était pas banni du langage de l’éducation, et, à la limite, elle évitait de mal s’orienter et de finir des études sans métier.
A peine rentré de Prague, il fallait se remettre aux choses sérieuses : attaquer l’IREPS. Et là, pas de transition : une dizaine d’heures de cours par jour : anatomie, physiologie puis le physique : athlétisme, gymnastique, natation. Quelle cadence ! Je ne m’en remets pas.
Je ne me mets pas au travail ; je suis très éprouvé par le voyage, l’étude de l’anatomie demande beaucoup de travail et je perds vite pied. En plus, sous l’égide de notre « gendarme », Monsieur Raquin, ça ne va pas. C’est un adepte de la natation et je nage comme un fer à repasser ; en athlétisme, il ne pense qu’au fond et nous fait subir des cross ‘tambour battant’ de 7 ou 8 kilomètres ; à part le poids où je suis dans les meilleurs, je ne suis pas reconnu. La première interrogation d’anatomie est une catastrophe, heureusement, je me débrouille mieux en physiologie. Je ne suis toujours pas prêt à la deuxième interrogation d’anatomie ; aussi, je prends une journée pour essayer de me remettre à flot. Cela ne plait pas à Monsieur Raquin, directeur pédagogique qui me renvoie dans mes pénates.
Je me souviens de ce jour où j’ai passé l’après-midi dans le métro à errer, pas rassuré de rentrer à la maison avec une aussi piètre nouvelle.
Mon père me ramène à la Crételle, à l’IREPS, mais l’explication entre lui et Raquin me montre qu’il vaut mieux ne pas insister dans cet établissement. Le seul point positif est un travail de résistance physique et une connaissance des matières intellectuelles : d’ailleurs, ma 2ème note en physiologie était entre 13 et 14, comme me l’a dit un ex-collègue de promotion qui m’a rapporté aussi que Monsieur Talbot, professeur de physiologie, avait trouvé que c’était dommage de partir si tôt. Mais, c’est la vie et c’était fait
Pour revenir sur les méthodes Raquin, je me souviens d’une séance d’EPS que ce triste sire, dans le but d’impressionner des professeurs d’université américains nous fit subir : une séance naturelle démente. Nous avions tous pris notre douche assis, épuisés par l’effort. Une autre fois, nous faisons un chrono sur 1000 mètres, je gagne en moins de 3 minutes, temps plus que correct et, au lieu de me féliciter, ce pisse-vinaigre me tance sous prétexte que j’aurais couru à l’économie en n’accélérant que dans les 250 derniers mètres.
Enfin, un autre jour, nous avions servi de juges au concours final de l’ENA. J’avais été impressionné par l’âge avancé et la faiblesse physique des candidats.
Je suis donc à la rue en décembre 1959. Il me reste une ressource. Je vais voir mon copain Roger Monti, qui s’est inscrit à la Ville de Paris, et là, miracle, il me dit « T’en fais pas, à la ville, c’est super facile, tu passes une enquête pédagogique et, si ça marche, on te donne une délégation d’enseignement, autrement dit une suppléance à l’arrivée et tu gagnes milles balles à l’heure » (José, employé de mon père en gagnait à peine la moitié).
Je passe cette épreuve, la réussis, m’inscris au cours normal d’EPS, et, au 1er janvier, j’ai 16 heures de cours par semaine, payés, à ma grande surprise, au tarif que m’a indiqué Roger. En plus, les cours du soir sont très cool. Je sors la tête de l’eau, mon moral remonte en flèche.
J’attaque plus sereinement l’année 1957 en devenant élève du cours Normal de la ville de Paris, rue Huygens.
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