1937-1951 Vincennes



52 et 52 bis rue de Strasbourg, en 2012
Monsieur et madame Moro regardent à la fenêtre du 2ème étage à Vincennes. Madame Moro,  ma grand-mère, dit à monsieur Moro : "Voilà Denis. Oh ! Il a la tête basse, il traîne les pieds, c'est encore un garçon".

En effet, à 16 h 50, un garçon nommé Claude est venu troubler la sérénité de la famille et surtout celle de Jaques, le privant de son statut de fils unique qu'il occupait depuis 8 ans pour devenir le frère aîné.

De mon côté, je m'appelle donc Claude et non Danièle comme le souhaitaient mes parents, Léone et Denis.

Il va de soi que je n'ai aucun souvenir de cet événement et que je n'en ai jamais souffert ayant eu des parents attentifs et aimants.


2. Hiver 1943-1944 - L'appendicite.
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Que ce petit blondinet est pâle, qu'il a mauvaise mine ; il est malade ?  Alors aux petits maux, les grands remèdes, il est atteint de l'appendicite, il faut l'opérer.

Je suis donc hospitalisé à Trousseau dans une grande salle commune vaste, claire de 20 à 30 lits.

Je passe à la chambre de tortures. Ficelé sur une planche par des courroies, on me met un infâme bocal sur le nez et la bouche, je résiste un peu, mais rien a faire et je m'endors nauséeux.

Je me retrouve, sans problème, avec l'intestin raccourci. Je sors de l'hôpital et rentre à mon domicile, à Vincennes pour quelques jours. Mais les choses se gâtent, une infection avec adhérences se déclare et je repasse sur le 'billard'. Je me revois encore descendant les 3 étages du 52 bis de la rue de Strasbourg, porté par mon frère et mon père, me débattant et pleurant. Destination Trousseau.

Finalement, tout se termine avec une bonne cicatrice et des agrafes que ma mère conservera précieusement avec nos dents de lait et mèches de cheveux.


La libération mai - août 1944

3. Mai 1944, Un match de foot.
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Un dimanche après-midi de mai ou de juin 1944, mon père m'emmène au Polygone de Vincennes, terrain de sport situé entre le château et l'hippodrome.

Nous allons voir Jacques jouer au foot avec le CO Vincennes. Il porte un maillot blanc frappé du numéro 2, il joue à l'arrière droit, place à laquelle je jouerai 8 ans plus tard. Il joue plutôt bien et je n'ai d'yeux que pour lui. Ce n'est pas mon Dieu, mais je l'admire quand même. La partie se déroule, 200 à 300 personnes regardent ce match de minimes. 

Tout à coup, une détonation éclate à la cartoucherie, à un kilomètre de distance. Tout le monde se retrouve à plat ventre, joueurs, arbitre, spectateurs. Un avion passe en rase-mottes se dirigeant vers la Marne et Paris.

À ce qu'il s'est dit ce jour-là, un bombardier anglais aurait attaqué la cartoucherie de Vincennes et serait tombé dans la Seine, touché par une batterie anti-aérienne du bois.

La réalité de ce dénouement n'est pas avérée, mais cela prouve qu'à l'époque, des choses aussi graves étaient traitées comme des banalités. Que les choses ont changé !

4. 22 ou 23 août 1944 - le sirop de la rue.
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À l'époque,  les enfants, surtout les garçons, jouaient dans la rue. Nos parents ne s'inquiétaient pas, habitués à des temps dangereux à cause de la guerre et du fatalisme qu'elle créait et surtout car peu de véhicules y circulaient, quelques vélos avec leur plaque d'immatriculation, un peu de voitures hippomobiles et de rares autos avec leurs infâmes brûlants gazogènes (je me suis quelquefois brûlé à leur contact) venaient troubler la ronde joyeuse des enfants.

Nous étions en début d'après-midi et nous jouions donc rue de Strasbourg, Claude Laroche, Jean Claude Jubin, Coco Roux et moi-même. Mes parents commençaient à réussir dans la vie et étaient partis à la boutique de maroquinerie rue d'Avron à Paris, échoppe qu'ils tenaient avec mon oncle Georges.

J'avais descendu du 3ème étage un vieux tourne-disque et nous simulions une fête.

Tout à coup, au bout de la rue, une détonation éclate, je crois qu'une voiture est passée devant nous à toute vitesse, montant vers la mairie de Montreuil. Terrorisés, nous avons réalisé que l'explosion venait d'un véhicule blindé qui avait tiré et remontait vers la mairie de Montreuil en traversant notre aire de jeu. La peur ne nous a pas coupé les jambes, et nous nous sommes enfuis tous les quatre dans la cour du numéro 52. Moi, le plus jeune et le plus trouillard, me suis réfugié au fin fond de la cour dans un garage ouvert. Au bout de quelques minutes, rassuré mais tremblant tout de même dans mes pantoufles, j'ai rejoint mes amis Claude et Jean-Claude au 4e étage du numéro 52 où nous avons assisté à des tirs de mitrailleuse, l'air zébré des balles traçantes dirigées vers le beffroi de la mairie de Montreuil. Probablement des allemands qui, en se repliant, avaient tenté de forcer le barrage de la mairie tenu par la résistance.

Après une petite demi-heure, nous sommes tous rentrés chez nous et nous n'avons plus bougé.

Mais la journée n'était pas finie. À environs 6 heures du soir, Jacques et moi attendons nos parents à la maison. Des avions 'double-queue' semblent raser les toits accompagnés de quelques tirs de DCA. On est habitués. Mais nos parents ne rentrent pas. Vers 8 heures et demie, mon frère va chez le boulanger du coin pour téléphoner à la boutique. Nos parents et Georges sont bloqués rue d'Avron et ne rentreront que vers dix heures et demie après maintes péripéties. Étant donné qu'il est dangereux de circuler en pleine ébullition de la Libération. Georges dort à la maison. Quelle journée !

Ma mère disait "Claude aime le sirop de la rue", mais on s'aperçoit qu'il peut avoir un goût amer et salé.

5. 24 août 1944 - un défilé.
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Le lendemain ou le surlendemain, la musique à changé. Nous jouons encore dans la rue, mais elle n'est plus déserte. On voit apparaître rue Diderot une colonne de chars ou automitrailleuses marqués de l'étoile blanche, cockpit ouvert, défilant pacifiquement. Ce sont les américains qui arrivent et nous distribuent des bonbons et du chewing-gum (les premiers chewing-gum). C'est la liesse à l'échelon banlieue. Je m'entends encore disant "c'est chouette, j'ai 7 ans aujourd'hui et les américains sont là ! "

Après le repas du midi, nous allons avec les copains au bois, là où les chars sont camouflés couverts de feuillage. Quelques uns d'entre nous, mais pas moi, montent sur les chars avec la permission de nos héros : les amerloques.

Quelle journée, quels souvenirs inoubliables, le bonheur !

6. 22 février 1945 - naissance de Françoise.
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La veille au soir, je vais coucher chez ma grand-mère, au 52 de la rue de Strasbourg. Maman est sur le point d'accoucher. Le lendemain matin, le 22 février, je monte à la maison, au 52 bis. Françoise est née dans la nuit. Je vois pour la première fois ma sœur. Enfin une fille dans la famille. Voici ma première réflexion : "Oh, la petite chose ! Elle a le blanc des yeux bleus". Cela changera, car elle sera la seule de la famille à avoir les yeux marron.

Maman a donc accouché à la maison, comme pour mon frère. Est-ce par tradition ? Par nécessité ? Je ne le sais pas, toujours est-il que je suis le seul à être né dans une maternité.
Voilà donc la famille avec un J3 Jacques, un J2 Claude et une J1 Françoise. Il faut dire qu'à cette époque de rationnements les cartes J donnaient droit à des suppléments d'alimentation.

Notre famille passe donc à 5 unités dans notre 3 pièces correct de Vincennes.

Auparavant étaient nées en juillet 1942 et décembre 1944 les cousines Liliane et Joëlle au foyer de Simone, la sœur de ma mère et son mari Milo. C'était le début de futures taquineries que je ferai subir aux trois filles. Que de souvenirs marrants, du moins pour moi.

7. Mai 1946, une noyade (date ?) .
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Un dimanche, je ne puis en fixer la date avec exactitude, alors que je devais avoir 7 ou 8 ans, nous allons en vélo au bord de la Marne, à Champigny. À l'époque, nous nous baignions en 'pleine rivière' sur les rives basses. C'était monnaie courante, non interdit, mais cependant très dangereux, et les événements qui suivent en apportent la preuve : je barbotais, m'avançais un peu trop dans l'eau. Tout à coup, j'ai trébuché et le courant, pourtant pas très fort, m'emporta et je ne pouvais plus reprendre pied. Je me souviens avoir, pour la première fois ouvert les yeux sous l'eau. Enfin, j'ai été récupéré par mon père, qui, tout habillé, m'a sorti de la rivière étouffant, toussant, râlant.

De ce jour est née,  je crois, une 'allergie' à l'eau et à la natation qui ne guérira que lorsque je préparerai le professorat d'EPS.

Une minute d'inattention de plus de mon père, et le récit s'arrêtait ici.
8. Septembre 1946, la vitrine du coiffeur (date ?).
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le "château" en 2012
Au 54 de la rue de Strasbourg, de l'autre côté de la villa David, trônait le petit château. C'était une demeure assez agréable de l'extérieur, mais où on avait aménagé des appartements pauvres et un peu misérables.

Là vivaient les Légers, le père, un pauvre ivrogne battant sa misérable femme Nana et Bernard,  leur grand dadais de 12 ans ; les Griffon, nantis de pas mal d'enfants dont Jeannot, myope comme une taupe, grand, fort, et très bête et les Hugonard avec, à mon souvenir, 2 enfants ayant à peu près mon âge.

Un jour, je m'étais battu avec le fils Hugonard qui m'avait mordu la cuisse pendant l'empoignade, je lui avais poché l'oeil en retour.

Un autre jour, je descends de chez nous, finissant mon goûter par une grappe de raisin et je crachais les peaux ! La fille Hugonard se moque de moi, les mots entraînant les actes, elle saisit une pierre grosse comme une boule de pétanque. Nous étions devant le 50, la boutique du coiffeur. Elle me lance cette pierre au visage, je me baisse et le projectile termine sa course dans à vitrine du coiffeur qui sort aussitôt pour voir une volée de moineaux et constate les dégâts : une fente d'au moins 5 mètres en diagonale dans la vitrine.

Ayant fait son enquête, le coiffeur monte alors chez nous, j'explique à ma mère ce qui s'est passé. Je n'ai eu aucun reproche.

Les Hugonard ne nous aimaient pas. Peut-être avais-je une tête à claques, ou bien  enviaient-ils la réussite relative de notre famille dans ce quartier populaire. Je n'ai pas la réponse.

9. Hiver 1946 - Un bain forcé.
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Un jeudi d'hiver, notre père est au travail, mon frère Jacques reste potasser ses cours à la maison, notre mère partie avec notre sœur Françoise je ne sais où.... Nous subissons une vague de froid carabinée. J'ai demandé la permission d'aller faire du vélo au bois - accordée-

Le lac, dégelé en 2012
Je retrouve donc des copains près du lac de la Porte Jaune à environs 4 kilomètres de chez nous. Le lac est gelé. N'étant pas le plus hardi, tant s'en faut, je regarde les amis marcher sur la glace. Je prends confiance, et j'en fais autant, puis, pour me montrer plus malin, je sautille puis je saute à pieds joints jusqu'à ce que la glace cède et je me retrouve dans l'eau jusqu'au ventre,  bien heureux que le lac ne soit pas plus profond. J'en sors vite fait, transi, trempé, grelottant. Il ne restait plus qu'à rentrer en 4ème vitesse jusqu'au 52 bis, rue de Strasbourg, mon domicile.

Jacques m'accueille en se moquant copieusement de moi. Je me réchauffe et lui dis "tu ne dis rien à maman". En rentrant, la première chose qu'elle remarque, malgré ma tentative de dissimulation, très imparfaite d'ailleurs, ce sont mes affaires trempées. Je me fais tancer, mais pas trop.

Je suis sûr que mes petites nièces, Naomi et Léa, Vincennoises aussi, n'auraient pas été autorisées à aller faire du vélo en plein hiver, et c'est bien ! Autres temps, autres mœurs.

10. Février-mars 1948 - une expédition polaire.
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Mon père avait une tante, Marthe, jeune sœur de ma grand-mère. Elle exerçait la profession de garde-barrière près de Dôle, dans la région du Jura. Celle-ci, veuve avait deux fils dont l'un, Denis de qui mon père était le parrain et le cousin. Il se mariait. Nous étions invités à cette cérémonie en Franche-Comté. Et mon père avait décidé d'y aller en voiture. Il ne doutait de rien, car, à l'époque, nous avions une Simca 5 avec laquelle nous ne voudrions pas faire 5 kilomètres aujourd'hui. Ma mère et moi faisions partie de l'expédition. J'étais derrière, assis sur une couverture, presque dans le coffre.

Et nous voilà partis, probablement le vendredi matin ; je gagnais dans l'affaire 3 ou 4 jours de vacances et un changement dans mes habitudes, ce que j'adorais. Les choses se gâtent au bout de 150 kilomètres, il se met à neiger. Nous étions gelés dans cette voiture qui roulait, au maximum à 40 ou 50 kilomètres à l'heure, et où, semble-t-il le chauffage n'était pas encore une option proposée. Moi, derrière, je m'occupais comme je pouvais en singeant un chasseur qui tirait sur les piafs qui voletaient le long de la route.

Revenons aux choses sérieuses : voilà que la 'voiture' a des ratés. Obligés de s'arrêter dans un garage à Vandeuvre, nous sommes dépannés par un mécano marrant, tirant sur une pipe assez puante. Notre essence s'était mélangée à de l'eau et il a fallu vider et assécher le réservoir. La réparation a duré assez longtemps, si bien que nous avons dormi à Chaumont.

Le lendemain, nous repartons pour Montrons, je crois. Après encore pas mal d'ennuis sur la route, la noce ayant lieu à midi, nous atteignons notre destination : le lieu du banquet à 8 heures du soir, à la nuit tombée et roulant en roue libre. C'était drôle !. Nous nous attablons au moment des chansons. Je me souviens d'un monsieur doté d'une très belle moustache blanche qui chantait "Quand je vois rougir ma trogne, je suis fier d'être bourguignon". A voir la couleur de son visage, il devait être très fier.

Nous dinions, et à la fin du repas, je suis saisi par une envie pressante. Ma mère demande à la famille où se trouvent les toilettes. une jeune femme m'y conduit : c'est l'étable. Elle est éclairée à l'aide d'une minuterie, qui, bien entendu, s'éteint. Les vaches qui bougeaient autour de moi (c'est du moins ce que j'imaginais) me fichent la trouille. Enfin, prenant mon courage à deux mains, je me reculotte et rejoins le banquet. J'étais vraiment un Parisien, tête de chien...

Après révision de la voiture, nous rentrons sans encombre probablement le lundi.
Pendant mon congé, le maître, Monsieur Mounic, un grand basque coiffé comme il se doit d'un grand béret, froid comme la glace, sévère mais très compétent avait décrété la composition d'orthographe-grammaire. Je me suis toujours demandé s'il ne l'avait pas fait exprès. En effet, à la fin de l'année, pour l'attribution du Prix d'Honneur, il a ajouté toutes les notes et m'a compté 0 pour cette épreuve. Le Prix est revenu pour 1 point à Boudet, un très gentil garçon, fils d'un coupe d'instituteurs.

Comme quoi le corporatisme existait déjà ! Je plaisante. Moi, je n'ai jamais revu Boudet qui a dû aller directement au Lycée, mieux conseillé qu'il était. Les temps n'ont pas trop changé...

11. 1946-1947-1948 La Saint Charlemagne.
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La ville de Vincennes organisait tous les ans la Saint Charlemagne. A cette occasion, les 2 élèves qui réussissaient le mieux dans leur classe primaire étaient invités à la salle des mariages de la mairie. Je fus 2 ou 3 fois de la fête. Après un discours que nous n'écoutions pas, une piécette ou un numéro de cirque, nous dégustions un goûter. L'avantage était que nous n'allions pas à l'école cet après midi. mais ce n'était pas gratuit ! Le cauchemar naissait du fait que, les jours suivants, nous devions rédiger un compte-rendu de la cérémonie.

Comme quoi toute peine mérite salaire, mais tout salaire mérite peine...

12. Été 1948, une mémorable gamelle.
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Eglise de Sévrier
J'étais louveteau, l'équivalent d'un éclaireur chez les scouts. Ma "meute" était celle du Vieux Chêne à Vincennes. J'étais nanti de 2 étoiles, d'un badge de signaleur et sous sizenier.
Cet été de 1948 nous étions en cantonnement à Sevrier, au bord du lac d'Annecy. Notre chef, Claude Montagne, était originaire de la région. Tout avec l'esprit "boy-scout" de l'époque, physique, proche de la nature, dans une région magnifique au bord du lac entouré de montagnes comme la Tournette ou encore le Semnoz.

Mes parents étaient venus me voir avec ma soeur Françoise. Cela ne m'avait pas plu, vu que je n'aimais pas me singulariser.

Un jour, une excursion est prévue au Semnoz, grande colline finissant dans le lac d'Annecy. Nous gravissons cette montagne, le mot est probablement exagéré ; puis nous redescendons par un chemin correct. Nous sommes torse nus comme notre attitude proche de la nature nous l'ordonnait. Nous nous sommes mis à courir, tous les 40 sur les quelques kilomètres de cette descente. Je pars dans les derniers, je suis rapide, je commence à doubler les copains. C'est la frénésie, j'en double au moins 30, seulement voilà, un virage mal négocié, doublé d'un caillou mal évité et je prends une bûche mémorable sur l'avant du thorax, dénudé, me transformant pour au moins 8 jours en une écrevisse ébouillantée. Comme quoi la frénésie mal contrôlée et l'orgueil déplacé ne sont jamais bon conseillers.

13. Août 1949,  la primo-infection.
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J'avais fait une bonne 6ème au cours complémentaire et je passais le mois d'août à Serrigny, dans l'Yonne, chez les PetitJean.

C'était des amis de nos parents qui habitaient un petit village entre Chablis et Tonnerre, en proche Bourgogne. L'amitié des deux familles s'était scellée pendant la guerre : Papa était prisonnier des Allemands dans la région de Serrigny et avait été placé dans des familles de vigneron pour l'entretien et la récolte. Il a dû être hébergé par les Petitjean qui ont peut-être favorisé son évasion. C'était des gens simples. Adeline, très soumise en apparence, d'origine paysanne asticotait pas mal Georges. Lui était un homme très bricoleur intelligent, remuant toujours des boites à clous, du ciment, des câbles électriques. Il était d'ailleurs contremaître au réseau EDF de Tonnerre. Mais quel coléreux ! Je l'ai vu écraser de son talon des pommes tombées de l'arbre ; elles étaient talées, il ne pouvait les conserver ; une autre fois, il a cassé des assiettes parce que madame Petitjean avait laissé déborder le lait, une autre fois encore, il avait écrasé, de rage, la plume d'un stylo parce que celle-ci écrivait mal. Il était apiculteur, à ses heures. Je lui dois de ne pas être effrayé par les abeilles. Je l'ai aidé à nourrir les ruches après la récolte, à enfumer les insectes, à remuer les cadres.

La fête, toute républicaine, du village avait lieu traditionnellement le 15 août. Charlot avait installé sa "rotonde", une tente de bal avec parquet sous le regard des enfants et adolescents. Monsieur Petitjean avait branché le courant.

Peut-être le 14 août en après-midi, je me prépare à aller à la veille de fête. J'espère rencontrer Renée Balkan, une future jeune fille de mon âge, très jolie petite brunette pour qui mon coeur commençait à s'émouvoir.

Madame Petitjean n'aimait pas les Balkan. L'inimitié avait gagné les animaux domestiques car, à chaque fois que les chiens se rencontraient, le noir des Balkan et le doux et peureux berger des Petitjean, cela tournait au pugilat.

Je commence à avoir mal à la tête, je remonte vers 5 heures, puis je retourne sur la place du village. Je reviens, la fièvre me poursuit et monte à des hauteurs inquiétantes. Une nuit se passe et mon état empire. Je gâche la fête, mais c'est sérieux !

Madame Petitjean a du mal à trouver un médecin, son docteur habituel est en vacances. Et c'est le gros Personnas qui vient à mon chevet. Je crois qu'il a compris tout de suite que je virais ma cuti d'une manière carabinée. J'ai eu droit les jours qui ont suivi, nuit et jour, toutes les 8 heures à une piqure de pénicilline pendant quelques temps. C'était l'éclectique monsieur Petitjean qui me les administrait.

Au bout d'une quinzaine de jours, cela va mieux. Mes parents ont été assez inquiets, à tel point que ma mère a fait le voyage Paris-Serrigny. On a même parlé de preventorium après des contrôles radiographiques. Comme j'étais à la campagne, il a été décidé que je resterai un mois de plus en convalescence jusqu'à la rentrée du 1er octobre.

Tout est mal qui finit bien et je suis rentré guéri avec des traces au poumons. Je me souviens, moi qui ai été passionné de sports, avoir et jusqu'à 20 ans redouté les visites médicales avec des radiographies qui faisaient toujours hésiter les médecins avant de m'accorder une licence sportive.

En épilogue de ceci, j'ai pu, ensuite, flirter autant que ma timidité presque maladive me le permettait avec Renée Balkan de concert avec Roland Fouinât et Jeanine Hoogue, 2 enfants de cultivateurs et amis de Serrigny. Je crois qu'il se sont mariés.

Je peux dire que le Docteur Personnas et madame Petitjean m'ont peut-être sauvé la vie.

14. Hiver 49 - une scène de ménage.
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Nous passions la soirée tous les 5 au 52 bis de la rue de Strasbourg. Ma soeur, Françoise était déjà couchée. L'atmosphère était très lourde. Mes parents étaient en crise. Probablement papa avait eu une aventure, je n'en sais rien. La grosse dispute a éclaté, maman pleurait de rage, papa ne la touchait pas. A un moment, maman a mis une casserole d'eau sur le gaz dans le but de la jeter au visage de notre père. Elle n'est, heureusement, pas allée au bout de ses intentions. Mon frère Jacques, malgré ses 20 ans pleurait, moi, mon oeur battait la chamade. Cela s'est finalement apaisé, nos parents étant, quand même raisonnables. J'avais un devoir de maths à terminer et je l'ai bâclé.

Quelques jours plus tard, mon professeur de mathématiques, Monsieur Marois rend les devoirs et me dit "Qu'est-ce qu'il t'arrive, Guinegagne, tu ne m'as pas donné l'habitude de cela". Je ne lui ai, bien entendu, rien expliqué.

Cette scène m'a servi plus tard, une fois professeur, quand j'assistais à des conseils de classe et que j'entendais des collègues bornés accabler certains élèves dont les difficultés familiales étaient connues, j'ai souvent essayé de minimiser les outrances de ces "Robespierre" au petit pied. J'ai moi-même regretté d'avoir été parfois intransigeant envers une élève dont la tenue était incompatible avec la pratique de l'éducation physique ; j'ai appris 2 ans plus tard que sa mère s'était suicidée. Ma seule excuse était que cette gosse avait eu la même honte et pudeur que moi, une trentaine d'années auparavant.

Les mauvaises choses servent parfois de leçon.

15. Juin 1951, la balade du "certif".
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En 4ème, en juin 1951, je passe le certificat d'études. Je prenais cela comme une formalité. Cela ne m'a pas empêché de me tromper lourdement dans un simple problème d'intervalles. Enfin, je suis reçu et, pour nous récompenser, la ville organise, comme chaque année, une sortie d'une journée pour les lauréats.

Nous partons donc tous en car, tous les Vincennois reçus, vers la forêt de Fontainebleau, je crois. Il fait un temps exécrable. Vers le milieu de l'après-midi, je me retrouve à jouer aux cartes dans le car.

A l'extérieur, une certaine animation me fait dresser l'oreille. On sort avec des copains et nous voilà mêlés à une danse du tapis. Et, à ma surprise, je suis choisi, je ne sais combien de fois, à faire des bisous aux filles. C'est une révélation pour moi, un peu coincé par une éducation puritaine bien que pas du tout religieuse. Pensez donc, j'ai du succès auprès des filles. Quelle surprise pour quelqu'un qui n'a pas très confiance en soi.

Quel bon souvenir.

16. Septembre 1951, mariage de Jacques, les rois de la poupouille.
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Mon frère Jacques fréquentait Ginette Devèze depuis pas mal de temps. Je me souviens d'eux, cueillant des cerises et s'en gorgeant comme des merles, dans le cerisier bigarreau de notre petite maison de Gournay. Je n'aimais pas trop cette petite bâtisse, entourée d'un grand jardin dans lequel mon père jouait au cultivateur et récoltait des patates.

Jacques et Ginette se marient le 1er septembre 1951, les 2 cousines Liliane, Joelle et ma soeur Françoise toutes de rose vêtues conduisent le cortège de chez Ginette à l'église du Perreux. J'avais pour cavalière une gamine de 14 ans comme moi ; c'était Jacqueline Dufraisse, la fille d'un associé de papa. La mère de Ginette a pleuré toutes les larmes de son corps pendant la marche nuptiale. Et bien après, d'ailleurs.

chalet de la porte jaune, en 2012
Puis, nous rejoignons le chalet de la Porte Jaune, dans le bois de Vincennes. Les familles se mélangent, mais pas trop. Les Devèze considérant les Guinegagne comme des gens simples, un peu paysans et parvenus, les Guinegagne considérant les Devèze comme de petits bourgeois, très XIXe siècle, un peu snobs et méprisants. Il y a un peu de vrai dans tout cela.

Enfin, les agapes se terminent et nous rentrons. Jacques partira au service militaire peu de temps après, à Rouen. De leur liaison harmonieuse et calme naîtra notre nièce Annie en 1958.

Dans la foulée, nous allons devenir "les rois de la poupouille".

Mon ami Jean Petit était parti en juillet en vacances dans le Cotentin. Mes parents avaient demandé aux siens de nous trouver une location dans cette région pas trop éloignée de l'Ile de France. Ce fut chose faite.

Peu de jours après le mariage, nous partons pour Hauteville, dans la Manche. A l'époque, on ne doutait de rien, nous avions une Citroen traction avant, le plus étonnant était le nombre de passagers de cette voiture.

Milo et Denis (Papa), les arroseurs...
Comptons : mes parents 2, Françoise et moi +2, Simone Milo et leurs filles, les cousines Liliane et Joëlle + 4, cela fait beaucoup : 8 !. dans la côte de la Butte Rouge, les filles (1, 2 ou 3), toutes malades, vomissent à la portière. Je revois encore papa et Milo urinant sur la carrosserie pour la nettoyer.

Enfin, après peut-être 7 ou 8 heures de route, nous arrivons à cette plage du Cotentin. Mes parents repartent vers Paris, Françoise et moi restons avec nos oncle et tante, les Mistelet.
Nous passons des vacances agréables, gaies, dynamiques, arrosées sur cette plage aux marées impressionnantes.

Pourquoi les "rois de la poupouille" ? Parce que nous chantions, sur l'air des "gars de la marine", les rois de la poupouille. Nous avions en effet tous attrapés des poux, surtout les Mistelet et Françoise. Je revois encore Milo allant chez le coiffeur, se faisant couper le cheveux et demandant à celui-ci une lotion contre les poux. La réponse directe du coiffeur fut "j'ai bien remarqué que vous en avez besoin"

Les vacances se passent sans histoire, à part l'inquiétude de ma tante Simone criant un jour "Mon Milo" parce qu'elle avait peur qu'il se noie avec la marée dangereuse.
Le hasard a fait que, 16 ans après, j'ai tenu avec Nicolle le club de plage de Pirou puis de Saint Martin de Bréhal situés à une dizaine de kilomètres au nord et au sud d'Hauteville.

Au moins 40 ans après, nous avons fait, avec Milo des "pèlerinages" sur les lieux des "rois de la poupouille".

Ainsi s'achève la période de ma vie où j'ai habité à Vincennes.

Naturellement, je n'ai relaté que quelques jours, mais en 11 années il s'étaient passé quantité de faits aujourd'hui oubliés, ou, au moins, cachés dans ma mémoire.

Une page se tourne.

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